Rise of the Yokai: l’Ibushi et la Narwa

On ne peut nier que les designs de la Narwa et de l’Ibushi sont des plus déconcertants. Façonnant l’histoire de Rise, ils ont été inspirés par différents mythes japonais, notamment autour de divinités très importantes.

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Fujin et Raijin

A la 1.0, le design de ces deux monstres semblaient intégralement liés à deux divinités assez célèbres de l’archipel japonais. Considérés parfois comme des yokai, étant en effet des oni, Fujin (風神) et Raijin (雷神) sont un duo de divinités qui apparaissent lors des tempêtes. Fujin, kami des vents, porte sur ses épaules un sac. En ouvrant son sac, il laisse s’échapper les vents qui soufflent pendant la tempête. Raijin, kami du tonnerre, frappe alors les taiko (太鼓), des tambours traditionnels, sur son dos avec deux baguettes pour générer le son du tonnerre.

Estampe avec Raijin à gauche et Fujin à droite par Tawaraya Sotatsu (XVIIième siècle)

Outre la dynamique évidente de l’Ibushi maniant les vents et la Narwa le tonnerre, on peut aussi noter les couleurs du duo. Raijin est en général rouge dans la plupart des représentations, la Narwa affichant des teintes jaune rouge, tandis que Fujin est vert, l’Ibushi étant dans des couleurs bleutées. Mais ce sont clairement les armures et les armes qui parlent le plus ici. Du côté des armures, les plastrons reprennent évidemment l’anneau de taiko pour la Narwa et le sac de vent pour l’Ibushi mais aussi les cornes. Le casque Narwa a ainsi deux cornes et la version Ibushi une seule, comme Raijin et Fujin respectivement. Et si vous demandiez pourquoi les Palicos sont juchés sur des nuages, c’est tout simplement ainsi que sont souvent représentés les deux onis, étant après tout des êtres célestes.

Pour les armes, les plus marquantes sont de très loin la corne de chasse de la Narwa et le fusarbalète léger de l’Ibushi. La première est littéralement un taiko tandis que le second ressemble beaucoup au sac de vent de Fujin.

C’est enfin également au niveau des noms japonais que l’on retrouve des parallèles intéressants. Le nom de la Narwa, Narutatahime (ナルハタタヒメ), comprend Naru pour Narukami (鳴る神), un des noms alternatifs de Raijin, et tata pour hatatagami, (霹靂神) un terme définissant des éclairs puissants. Du côté de l’Ibushi, Ibushimakihiko (イブシマキヒコ) est composé de ibuki (息吹), le souffle, et maki pour shimaki (風巻き), le moulin à vent. Je reviendrais sur la dernière partie de ces noms hime et hiko dans la partie finale.

Le Ryugu-jo

La zone où le duo est affronté est effectivement assez étrange, n’est-ce pas ? Le Palais de Coraux référence le palais de Ryujin (龍神), kami dragon des mers. Nommé Ryugu-jo (龍宮), ce palais est lié à de nombreux contes japonais. Dans le jeu, il semble avoir appartenu à une civilisation qui a fait face à la Narwa avant que celle-ci n’engloutisse le palais sous les eaux. L’approche de l’Ibushi l’aurait poussé à ressortir les ruines de la mer en utilisant ses pouvoirs électromagnétiques. Et outre leurs designs de dragons serpentiformes asiatiques au premier abord (le duo en anglais étant appelé Serpents du vent et du tonnerre), les connexions entre ces Dragons Anciens et les océans ne s’arrêtent évidemment pas là.

Artwork par Gravity shisunwu

Les designs généraux de l’Ibushi et de la Narwa semblent fortement basés sur les hippocampes. La Narwa possède même un organe électrique qui rappelle énormément leur poche ventrale servant au transport des œufs (un rôle qui n’est pas réservé qu’aux mâles contrairement à la croyance populaire). Du côté des mâchoires, on sent que le développeurs se sont inspirés des murènes. Ces poissons possèdent une mâchoire pharyngienne en plus de la mâchoire de base. La mâchoire de base sert à bloquer la proie et à l’empêcher de fuir pendant que la mâchoire pharyngienne la tire vers l’œsophage. Leurs gorges ressemblent aussi fortement à celles des baleines.

La queue de la Narwa continue d’ailleurs ce thème des baleines tandis que les tentacules de son dos rappellent les anémones marines. Du côté de l’Ibushi, ses pointes sont une référence à celles des murex, plus particulièrement les « peignes de Vénus ». Ces pointes leur servent à se protéger des prédateurs mais aussi à ne pas s’enfoncer dans le sable. Pour sa queue, on peut relever une référence à Fujin, celle-ci ressemblant à un soufflet de forge.

Et on retrouve une ultime référence aux océans au début du combat contre la Narwa Mère de tous. En effet, le comportement qui consiste à absorber le mâle par morsure existe dans nos océans, plus précisément au fond de ceux-ci (tiens un peu comme dans le jeu où ça se passe au fond du Palais de Coraux). En effet, les baudroies abyssales ont une méthode de reproduction assez originale. Ici ce n’est pas la femelle mais le mâle, plus petit (comme pour notre couple de Dragons remarque), qui mord sa partenaire. Et il ne lâche pas prise le bougre, se nourrissant du sang de cette dernière. Dans cet état, il n’a plus besoin de nager, de voir, bref de vivre et il commence du coup à lentement perdre ses organes, son système sanguin fusionne avec celui de madame et à la fin, il ne reste que la partie la plus importante… Ses testicules, que la femelle peut stimuler pour obtenir du sperme quand elle veut féconder ses œufs. Dans un environnement vaste où les chances de se rencontrer sont faibles (et encore faut-il que les deux partenaires soient prêts à se reproduire) et où la nourriture est rare, cette stratégie garantit aux baudroies de donner naissance à une nouvelle génération.

Le petit bourgeon à droite, c’est un mâle en pleine fusion.
Baudroie mâle: on m’a dit que je pouvais devenir ce que je voulais… Je suis donc devenu une paire de couilles.

Mais le combat final n’est Dieu merci pas que basé sur cette anecdote étrange et a une symbolique des plus épiques.

Izanami et Izanagi

De quelles entités s’inspirer pour un duel final aussi intense que des deux kami les plus importants du shintoïsme, la principale religion japonaise ? Selon le mythe fondateur japonais, Izanami (イザナミ) et Izanagi (イザナギ) sont les deux premières entités de l’univers, chargés de concevoir le monde. Ils trempèrent la lance Amenonuhoko (天沼矛) dans la mer et l’agitèrent, créant les îles japonaises avec les gouttes qui tombèrent.

Izanami et Izanagi créant le Japon, par Kobayashi Eitaku en 1885

Après avoir donné naissance à de nombreux autres kami qui créèrent les concepts naturels, Izanami découvrit qu’accoucher des flammes, Kagatsuchi (カグツチ), n’était pas l’idée du siècle (étonnamment) et elle mourut pendant la naissance de son enfant. Elle finit à Yomi (黄泉), le pays souterrain des morts. Izanagi, voulant revoir sa compagne, descendit donc aux enfers. Il alla la chercher mais quand il la trouva, celle-ci resta dans les ombres, lui interdisant de la voir. Elle lui expliqua qu’elle avait déjà mangé la nourriture de Yomi, l’empêchant de repartir, et qu’elle allait essayer de trouver un arrangement avec les kami du monde souterrain. Izanagi décida d’attendre avec elle mais il était trop impatient et, profitant du sommeil de sa compagne, il alluma un feu. Il découvrit alors avec horreur la nouvelle apparence de sa femme, un cadavre en putréfaction ravagé par des asticots et des démons.

Izanagi tentant de rejoindre Izanami à Yomi (Green Willow and other Japanese Fairy Tales, Warwick Goble, 1910)

Izanagi prenant la fuite, Izanami se réveilla et découvrit la terrible nouvelle. Humiliée et furieuse, la désormais kami de la mort fit naître les 8 aspects de la foudre, les Yakusa no Ikazuchi (八雷神), et différents monstres qui pourchassèrent Izanagi. Celui-ci parvint à s’échapper de justesse, condamnant l’entrée de Yomi avec un grand rocher mais non sans que certains des enfants d’Izanami ne parviennent à sortir, notamment Fujin et Raijin. Celle-ci fit alors le vœu de tuer 1000 humains par jour pour se venger de son époux. Et Izanagi, désormais kami de la vie, créerait 1500 humains chaque jour pour contrebalancer la malédiction née de ses erreurs.

L’entrée de Yomi, Yomotsu Hirasaka à Higashiizumo dans la préfecture de Shimane

Souillé par l’air fétide de Yomi, Izanagi alla ensuite se laver dans une rivière, créant alors un des rituels les plus importants du shintoïsme, le harai (祓, ce qui est fait à l’entrée des sanctuaires shinto en se lavant avec de l’eau). Des souillures lavées nacquirent d’autres kami dont les 3 Enfants Précieux du Japon (三貴子), Amaterasu (天照大神), déesse du Soleil de son œil gauche, Tsukuyomi (ツクヨミ), dieu de la Lune de son œil droit, et Susanoo (スサノオ), dieu des Tempêtes de son nez.

Amaterasu et Susanoo étaient clairement plus populaires que Tsukuyomi. Une des histoires les plus célèbres raconte comment Amaterasu s’est enfermée dans une grotte après une dispute avec Susanoo. Les autres kamis durent ruser pour la faire sortir, un mythe illustré sur cette estampe de Shunsai Toshimasa datant du XIXième siècle.

Les connexions entre ce duo et notre couple de Dragons Anciens sont multiples et assez intéressantes lors de l’affrontement final du jeu. De base, les noms du duo en japonais donnent des connexions claires. La Narutatahime est une himekami (比売神), une divinité féminine, tandis que l’Ibushimakihiko est un hikogami (比古神), une divinité masculine, comme le duo du mythe. Le surnom européen de la Narwa, Mère de tous, est une référence directe à Izanami, la déesse qui a donné naissance à une bonne partie du monde.

Si on récapitule les événements du jeu, on affronte d’abord la Narwa et une fois celle-ci vaincue, elle chute sous terre. On joue donc le rôle de Kagatsuchi qui tue sa mère, la faisant chuter dans les profondeurs du Palais de Coraux. Après cette première victoire, on affronte l’Ibushi en quête de sa reine. Une fois le Dragon Ancien vaincu, il fracasse le sol (à nouveau mais là c’est du game design évidemment), un gros rocher qui le sépare de la Narwa. La zone souterraine du Palais a un design très différent de l’étage supérieur, avec des murs rouges couleur chair, une certaine vision somme tout de Yomi. Une fois dans ce royaume des morts, l’Ibushi découvre la Narwa qui cette fois-ci, contrairement au mythe d’origine, l’attrape et le tue, absorbant ses pouvoirs. Les thématiques de la vie et de la mort sont alors clairement mises en avant, la Narwa voulant détruire le monde (la mort) pour créer un éden propice à sa progéniture (la vie).

Artwork par LUXE sur pixiv

Un des détails les plus intéressants du design de la Narwa Mère concernant le mythe, c’est son abdomen. Son ventre ne contient pas des œufs mais les organes qui lui servent à générer son magnétisme. Et une fois qu’elle tue son mari, on y voit clairement 8 orbes lumineux, un peu comme les 8 aspects de la foudre qui sont sortis d’Izanami à la trahison d’Izanagi. De façon générale, l’Ibushi vole grâce aux vents, un concept plutôt céleste, le libérant du sol, tandis que la Narwa vole grâce au magnétisme, un concept ancré dans le sol qui l’emprisonne.

La cinématique d’intro ne fait d’ailleurs pas dans la finesse avec l’iconographie ciel/terre

Quand le combat arrive dans sa phase finale, vous recevez l’aide d’un monstre parmi trois. On retrouve alors le Teostra, le Magnamalo et le Kushala Daora, chacun pouvant incarner un des 3 Enfants Précieux d’Izanagi. Le Teostra correspond ainsi à Amaterasu, avec les flammes du Soleil, le Kushala à Susanoo, les vents de la Tempête tandis que le Magnamalo, une créature liée à la nuit, incarne Tsukuyomi, le kami de la Lune.

Une ultime référence au mythe se trouve dans les Cavernes de lave. En effet, dans la zone 8, vous pourrez trouver un squelette de Narwa. L’artbook officiel de Rise nous dévoile qu’il s’agit d’une Narwa qui a attendu là un Ibushi qui n’est jamais venu, son corps s’étant décomposé avec le temps. Les idées de la décomposition et de l’attente ainsi que l’emplacement souterrain du cadavre sont autant de connexions à Izanami.

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