Rise of the Yokai: l’Aknosom

Un drôle d’oiseau, n’est-ce-pas ? Malgré son statut de monstre de jeu plutôt faible (à mon grand regret, tant j’adore son design), l’Aknosom est un melting pot de nombreuses influences, fusionnant deux yokai, des oiseaux et des arts traditionnels japonais.

Le kasa-obake

Le kasa-obake est un yokai de la famille des tsukumogami (付喪神). C’est une famille particulièrement large qui est constituée d’objets possédés. Selon la tradition japonaise, un objet doit être utilisé pendant 99 ans, avant d’être consacré dans un temple à l’anniversaire de ses 100 ans. Que se passe-t-il si vous ne respectez pas la tradition ? Eh bien vous risquiez de voir cet objet s’animer et vous hanter. On retrouve ainsi une quantité impressionnante de créatures, comme le biwa-bokuboku, un biwa (luth traditionnel) qui se joue tout seul, le seto-taisho, un général intégralement composé de vieille porcelaine, ou encore le yokai qui nous intéresse ici, le kasa-obake.

Et vous l’aurez certainement compris, un grand nombre de Pokémon ont été inspiré par ces yokai, tel Voltorbe, littéralement le tsukumogami d’une Pokéball. Fait amusant d’ailleurs, il est le pokémon n°100, visiblement une référence aux 100 ans où l’objet doit être consacré.

Pour en revenir à notre kasa-obake, il s’agit d’une ombrelle qui a donc été abandonnée ou maltraitée au lieu d’être respectée. Vous risquiez alors de voir un œil apparaître dans un trou de sa toile, éventuellement des bras composés par cette toile déchirée et même un pied humain ou d’oiseau remplacer son manche. Mais la particularité la plus perturbante, c’est une longue langue qu’il exploite pour venir agresser les gens en les léchant.

Dessin par Yoshikazu Utagawa en 1848

Il n’existe cependant pas tant que ça de mythes sur le yokai et il semblerait qu’il soit une invention récente plutôt qu’un ancien récit. En effet, quand Edo est devenue la capitale du Japon vers les années 1600, les gens s’y sont regroupé et une sorte de ‘yokaiologie’ est née, les récits sur ces créatures étranges s’échangeant. Mais pour attirer et divertir le public, les conteurs se sont aussi mis à créer des yokai de toute pièce et il y a de fortes chances que ce soit là qu’est né le kasa-obake, le tsukumogami d’un objet à la baleine en bois et à la toile de papier fragiles et donc régulièrement maltraités et abandonnés.

Basé sur les dessins de Shigeru Mizuki

Bon pour l’Aknosom, le parallèle est assez évident. En effet, avant de rugir, celui-ci prend une pose particulière, se posant sur un pied (tel le pied d’oiseau du kasa-obake), regroupe ses ailes devant lui, formant une ombrelle avec une trace rouge à l’avant de ses ailes (la langue) et exhibant une écaille noire sur son front (l’œil). On peut aussi noter son nom japonais Akenoshirumu (アケノシルム). Si akeno proviendrait du kanji ake (朱), traduisible par rouge, écarlate ou encore sanglant, shirumu viendrait de l’allemand Schirm qui signifie… Parapluie. L’Aknosom est littéralement un parapluie rouge.

Il dispose aussi d’une attaque aérienne où il tourne en l’air comme un parapluie porté par le vent.

Du côté des composants, sa Crête est ‘ornée d’un œil qui a déjà fait peur à plus d’un’ et ses Plumes sont ‘prisées pour les parapluies’ (et elles sont même utilisées pour la Grande Épée Forge basée sur un parapluie). Ses faiblesses élémentaires sont aussi l’eau et la foudre… Sauf que sa crête est immunisée à l’eau tandis que ses pattes y sont ultra sensibles : sa posture de parapluie lui sert à se protéger des éléments, littéralement le but d’un parapluie. La faiblesse foudre maintenue sur la crête pourrait être liée à une croyance populaire qui dit que les parapluies risqueraient de faire paratonnerre sous la pluie.

Et si on veut encore un peu s’acharner, la vidéo d’introduction du monstre indique ‘cette créature ressemble à un parasol’ et son icône le présente dans la pose du parasol. On y reconnaît l’œil, la structure générale, l’équilibre sur une patte et la trace rouge à l’avant rappelant la langue du yokai.

Mais alors d’où vient son maniement du feu ? De Chine figurez-vous. En effet, une certaine partie de la culture japonaise vient de là-bas. Les sushi ou le bouddhisme par exemple sont originaires de Chine et dans le domaine des yokai, il existe des chuugokuyokai (中国妖怪), littéralement des yokai chinois. L’une de ses créatures est le hippou (ヒッポウ) ou plutôt Bi Fang (畢方) en Chine. Il s’agit d’une grue à une patte (bah tiens) capable de cracher du feu et responsable d’incendies de forêt. Difficile cela dit de trouver beaucoup de références sur cette créature assez obscure. L’Aknosom est référencé cela dit comme un ‘obake tori‘ dans sa cinématique d’introduction, un oiseau monstrueux.

Tant qu’on parle de grue, si on faisait un petit cours d’ornithologie ?

Noms d’oiseaux

Les comportements de l’Aknosom sont fortement ancrés dans la réalité. En effet, dans un jeu typiquement japonais, il a été basé sur la grue japonaise, un échassier célèbre mais qui n’est même pas un résident permanent de l’archipel. En effet, migrateur, il vient en réalité de Russie et vient au Japon pour hiverner… A Hokkaido, l’île nord au climat froid. D’où la présence de l’Aknosom notamment dans l’Archipel de Glace !

Et les connexions entre les échassiers, l’Aknosom et même le kasa-obake ne s’arrêtent pas là ! Outre les longues jambes qui servent à marcher dans des eaux peu profondes sans mouiller le plumage et sont idéales pour référencer la jambe du yokai, le héron noir africain, autre représentant de cette famille, se la joue littéralement ombrelle ! En effet, quand il pêche, il regroupe ses ailes devant lui de la même manière que l’Aknosom pour créer un cône d’ombre. Et les poissons pensant voir une zone couverte, à l’abri des prédateurs, se regroupent du coup sous le piège, où le héron les harponne alors du bec.

Et vous trouvez la crête de l’Aknosom, visant à compléter son ombrelle, pas très réaliste ? Eh bien laissez-moi vous présenter le moucherolle-roi, un oiseau d’Amérique du Sud qui a exactement la même crête sur la tête, lui servant à intimider ses prédateurs et charmer ses futures partenaires.

Vous savez c’est quoi son petit surnom d’ailleurs ? Le porte-éventail roi. Si on parlait éventail du coup ?

Le papier

Une des autres inspirations de l’Aknosom, c’est effectivement le papier en général. Ce matériel, qui servait justement à préparer la toile des ombrelles (kasa-obake je vais pas revenir dessus à ce stade), était aussi exploité pour faire les éventails. Et la crête de l’Aknosom agit littéralement comme cet outil traditionnel. Il peut l’abattre au sol pour déclencher des souffles de vent (soit un peu la seule utilité d’un éventail quoi), la déployer pour frapper plus large quand il charge ou la replier pour des charges plus rapides. Elle est même référencée en tant que tel en rang supérieur puisqu’elle ‘ressemble à un éventail d’ornement’.

Et un éventail, c’est du papier plié, ce qui nous amène à l’origami, l’art du pliage de papier. En effet, le Twitter officiel a validé que malgré son design plus européen, l’armure de l’Aknosom serait composée justement avec cette technique.

Perso, je vois pas trop sur l’armure mais les poignées des armes sont plus parlantes pour l’insipiration origami

L’origami consiste donc à prendre à la base un carré de papier pour créer rien qu’avec des plis des structures plus complexes. Il peut être réalisé par étape avec une feuille vierge ou avec un crease pattern, c’est à dire une feuille pré-marquée dont on suit les traits pour plier.

Pour une fois que je peux flex mes pliages =D

De nos jours, il est exploité dans la recherche, spatiale notamment, permettant de compresser certaines structures pour gagner de l’espace.

Si vous êtes à l’aise avec l’anglais, cette vidéo sur le sujet est super intéressante.

On peut aussi noter que la Morpho-hache Forge, formant l’un des modèles les plus classiques de l’origami à savoir la grue (*pointe discrètement la partie précédente*), exploite des Crêtes et des Plumes de l’Aknosom pour ses améliorations.

Une ultime référence que je vois pas trop où caser, c’est le théâtre kabuki. On a qu’à dire qu’on parle d’art pour le lien tiens. Bref, le kabuki est un théâtre traditionnel où les acteurs ont des mouvements particulièrement appuyés et exagérés et un maquillage bien particulier. Il est composé d’une poudre de riz donnant un teint blanc aux personnages et de traits de peinture. Le plus célèbre exploite des traits rouges, signalant le héros. Mais il en existe des variantes bleues pour les personnages négatifs, vertes pour les démons ou encore violettes pour les nobles. Dans l’Aknosom, on retrouve les mouvements très amples et exagérés notamment quand il met des balayages avec ses ailes, les couleurs blanches et rouges ou encore une référence dans sa cinématique d’introduction qui dit ‘une danse se fait entendre’. Son bec est aussi décrit comme ‘peint de rouge à lèvre’.

Et pour le petit point culture, le fondateur du kabuki est en réalité une fondatrice, Izumo no Okuni en 1603. En effet, le kabuki était pratiqué originellement par des femmes, principalement des prostituées afin de distraire les riches clients, celles-ci se travestissant pour jouer les rôles masculins. C’est le célèbre shogun Tokugawa Ieyasu qui interdira le kabuki aux femmes et ce jusqu’au XXième siècle mine de rien.

La théorie du basan

Une des théories les plus courantes sur les origines de l’Aknosom, ce serait qu’il vienne du basan en plus du kasa-obake. Le basan est un yokai basé sur un oiseau, un coq pour être exact, capable de cracher un feu fantomatique qui ne brûle pas. Il serait nocturne et vivrait dans les forêts de bambous. On peut accorder du crédit à cette théorie via la cinématique d’introduction de l’Aknosom qui se passe ‘au sein d’une forêt de bambous […] dans la nuit’ et… Et c’est tout quoi.

Dessin par Takehara Shunsen dans son Ehon hyaku monogatari en 1841

Le basan est arrivé dans les théories pour justifier le maniement du feu de l’Aknosom mais à part que les deux sont des oiseaux de feu, je ne vois pas plus de rapport. Le bambou ? C’est juste LA plante à mettre dans une forêt japonaise. Le Bi Fang chinois fait beaucoup plus de sens étant lui aussi une grue et trop peu connu pour être mis en avant lors de la promotion de l’Aknosom.

La théorie du basan a été mise en avant par Gaijin Goombah, un youtuber anglais spécialisé en yokai. Je pense qu’il ne connaissait pas le Bi Fang cela dit (j’ai découvert cette créature en fouillant des forums japonais au fin de l’internet puis en allant me perdre côté chinois donc bon ça se comprend) mais qu’il fait un peu preuve de mauvaise foi pour appuyer sa théorie du basan (avec des réflexions du genre ‘l’Aknosom ne se tient jamais sur une seule patte’ quand ses clips montrent bien le contraire). Après je laisse les gens libres de leurs opinions.

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